L'AVANT DERNIER DES HOMMES

Valère Novarina

 

 

Si le choix de monter L’Avant dernier des hommes ne constituait pas un aboutissement, c’était certainement une étape essentielle d’un long cheminement au cœur même de l’œuvre de Valère Novarina. En effet, après un véritable choc esthétique lié à la découverte de L’opérette imaginaire mise en scène par Claude Buchwald, le désir de percer cette œuvre « lumineusement incompréhensible » m’a conduit à mener une recherche universitaire à Paris 1 Panthéon-Sorbonne de plusieurs années. Elle se continue aujourd’hui avec un projet de thèse sur les Auteurs de scène.

Mettre en scène L’Avant dernier des hommes, version pour la scène du chapitre XVII de La Chair de l'homme, est un projet qui permet à la compagnie Nomades de poursuivre l’aventure commencée avec Figure de Pierre Charras. Dans cette pièce, sorte de laboratoire de recherche, il était question d’interroger l’acte de création au travers de la parole du peintre Francis Bacon, une parole entre l’image et le mot, une parole entre peinture et écriture, une parole en devenir comme dirait Gilles Deleuze. Avec L’Avant dernier des hommes, l’ambition est d’ouvrir un espace poétique permettant d’appréhender une relation fondamentale au langage, pas à une forme pré-établie du langage mais une forme première, optique et haptique, une forme originelle.

Comme l’écrit Novarina, cette pièce amène ce questionnement au travers des mots de « l'Acteur fuyant autrui : il dit qu'il désire voir la langue. Sur un talus, au milieu des objets, il la multiplie pour la faire apparaître, assister à sa passion. La langue n'est plus pour lui quelque chose qui relie, puisqu'il est seul mais quelque chose qui est devant lui comme un théâtre de force, comme un champ magnétique. C'est une antimatière lumineuse qui n'a plus rien d'humain. Une tension de l'espace qui le maintient dans cet instant apparaissant devant nous.1 »

L’acteur novarinien est un animal rare. Il n’est pas comme nous. Son corps n’est pas celui que nous connaissons en dehors du plateau. C’est un autre corps qui se tient différemment, mystérieusement, sous l’effet conjugué de la parole qu’il projette au devant de lui et du regard des spectateurs. «L’acteur est le foyer du théâtre et le point de fuite du faisceau des perspectives perceptives ouvertes sans cesse par chacun des spectateurs. […]L’acteur est un point focal lointain brûlant et optique.2 »

Lorsqu’il entre en scène, l’acteur au moyen de son corps donne une représentation de la figure humaine Dans ce théâtre, « l’acteur apporte l’homme de face comme un ennemi devant lui ; il l’expose en pleine lumière sans modelé, sans l’ombre d’un personnage. Il dresse devant nous la figure humaine.1 », La première figure qui se donne à voir en subissant l’épreuve du plateau, c’est le corps de l’acteur. « L’acteur trace devant nous la figure humaine jamais vue : si profonde qu’elle est sans épaisseur. 2 ». A ce sujet, la performance d’acteur de Jean-Louis Wacquiez dans Figure et dans l’Avant dernier des hommes montre son désir de relever une nouvelle fois un pari insensé annonçant l’ouverture d’un champ d’expériences passionnant au sein duquel les questions essentielles sont posées : l’origine de la vie, la mort, la finitude, l’incarnation, la chair et le sang, dans une sorte de numéro clownesque logoscopique et délirant.

L’avant dernier des hommes «  va de l'avant pour voir plus loin, mais marche arrière sans voir qui vient : quand il se baisse, c'est dans son pantalon probablement - en se relevant, c'est au contraire exactement. » Il nous dit : « Je suis un homme qui entre en deux êtres à la fois, avec double jambe dans ses pantalons présents ; je ne suis pas Jean qui est entré dans l'homme qui n'a pas parlé mais c'est mon animal-arrière qui en est descendu..1 » 

Sur scène, l’avant dernier des hommes se heurte aux objets, des objets utilitaires des années soixante, plus grands que nature, tombés des cintres dans un immense filet. Il les examine, cherche ce qu’ils ont à nous dire de nous-même aujourd’hui. Dans cette forêt urbaine, il parle aux fragments, aux traces, aux herbes folles, aux déchets restés là. Il engage un dialogue musical et imaginaire avec un percussionniste présent sur scène. Tout devient matière sans rien, le corps de l’acteur, la parole, les mots, la musique, la lumière, les ombres, le silence … La scène est un paysage minuscule où chaque élément fait sens.

Claude Merlin qui a créé ce rôle explique qu’il se noue parfois entre un acteur et un rôle un lien privilégié. Est-ce l’acteur qui crée le rôle ? Est-ce le texte qui, traversant le corps de l’acteur, crée ce dernier ? Est-ce la scène qui transforme l’homme en plus que lui-même ? Toujours est-il que L’Avant-dernier des hommes, c’est quelqu’un, c’est nous tous !

La notion de figure qui est au centre de ma recherche sert de base à ce travail car, comme nous avons pu l’expérimenter avec Figure et le renouvelons ici. Elle permet d’aborder la mise en scène de façon rationnelle et sensible à la fois. La figure,« forme d’expression qui montre adéquatement l’être dans toute sa diversité et dans toute sa plénitude,1 » n’est produite ni par l’imagination, ni par les sensations, ni par la raison mais par la rencontre des trois dans l’acuité figurale de l’être. En figurant la variété et la complexité de l’être, la figure a une vocation ontologique. Cette définition de la figure doit se déployer sur scène et permettre de rompre avec le logos pour proposer un renouvellement poétique de la langue et atteindre cette obscurément lumineuse langue de l’avant dernier des hommes.

Marc Douillet

Comédien : Jean-Louis Wacquiez

Musicien : Philippe Leroy

Créateur Lumières : Jean-Bernard Philippot

Technicien : Baptiste Fourrier

Création des objets : Jean-Noël Parmentier

Mise en scène et scénographie : Marc Douillet

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1 Stéphan Vaquéro, Figure et vérité chez Baltasar Gracian, Figures de l’art n°5, P.U.P, 2001, p107

1 L’Avant-dernier des hommes, Valère Novarina, Editions P.O.L., 1997, p 11 

1 Valère Novarina, Lumière du corps, P.O.L. 2006, p 148

2 Valère Novarina, Lumière du corps, P.O.L. 2006, p152

1 L’Avant-dernier des hommes, Valère Novarina, Editions P.O.L., 1997,Quatrième page de couverture.

2 Valère Novarina, Lumière du corps, P.O.L. 2006, p 83 & 84


Ce spectacle est coproduit par le Conseil Régional de Picardie,
la Fédération des Oeuvres Laïques de l'Aisne,
le Conseil Général de l'Aisne et la Mairie de Soissons.

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